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Note d’analyse « DataJust » : Création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel
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Alors que nous traversons actuellement une crise sanitaire sans précédent, le Ministère de la justice a décidé de publier, le 27 mars 2020, un décret portant sur la création pendant une durée de deux ans, d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé “DataJust”.
Comme bon nombre de nos confrères mais également le syndicat de la magistrature, nous avons été très étonnés de la publication soudaine de ce décret, en plein état d’urgence sanitaire, qui de surcroît, ne présente aucun caractère d’urgence, ni aucun lien avec la période de crise actuelle.
Le Ministère de la Justice a d’ailleurs reconnu une « erreur temporelle » dans la publication de ce décret.
Mais en quoi consiste cet algorithme“DataJust”? Quel en est l’intérêt ? Quels en sont les risques et les limites ?
- Les objectifs visés par la création de DataJust
La base de données DataJust permettra l’élaboration d’un algorithme poursuivant plusieurs objectifs listés à l’article 1er du décret :
- la réalisation d’évaluation rétrospective et prospectivedes politiques publiques en matière de responsabilité civile et administrative,
- l’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels,
- l‘information des partieset l’aide à l’évaluationdu montant de l’indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges,
- l’information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d’indemnisation de préjudices corporels.
En d’autres termes, la création de cet algorithme vise à recenser, selon le type de préjudices subis et leur gravité, les indemnisations sollicitées et obtenues par les victimes devant les tribunaux judiciaires et administratifs, mais également les montants accordés dans le cadre des procédures amiables, y compris les transactions réalisées avec les compagnies d’assurance, et d’élaborer ainsi un référentiel d’indemnisation des préjudices corporels basé sur ces informations.
Par la création de cet algorithme, le Ministère de la Justice souhaite analyser les données de la jurisprudence afin de mettre à la disposition des victimes, des magistrats, des avocats, des assureurs et des fonds d’indemnisation un référentiel indicatif officiel, permettant de mieux appréhender financièrement les préjudices.
Le référentiel d’indemnisation issu de l’algorithme DataJust servirait donc à l’harmonisation des décisions de justice en matière de préjudices corporels et à une plus grande prévisibilité de ces décisions.
- La nature des données collectées pour DataJust (articles 1 et 2)
Afin d’atteindre les objectifs visés, la base de données recensera :
- les montants demandés et offerts par les parties ;
- les évaluations proposées dans le cadre de procédures de règlement amiable des litiges ;
- les montants alloués aux victimes pour chaque type de préjudice ;
- des informations concernant les préjudices visés et la situation des victimes.
Ces informations seront collectées parmi les décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires, ainsi que les offres faites dans le cadre de procédure de règlement amiables des litiges, entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019, dans les seuls litiges concernant le dommage corporel.
- L’accès aux données collectées (articles 2, 3 et 4)
Le Ministère de la Justice précise dans le décret que l’anonymat des personnes physiques parties aux procédures amiables ou contentieuses sera préservé et limitera l’accès à ces données uniquement à ses seuls agents chargés du développement de l’algorithme.
Cependant, si cet algorithme vise une meilleure administration de la justice, il participe indéniablement à la tendance d’une justice prédictive qui, malgré les avantages apparents, peut s’avérer dangereuse pour les victimes dans un domaine aussi complexe que le dommage corporel.
- Les dangers de DataJust, instrument d’une justice prédictive
Selon le Ministère de la Justice, l’algorithme DataJust permettrait de proposer des montants plus justes aux victimes.
Or, la création et la mise en œuvre de ce nouveau référentiel risquent, au contraire, de se faire au détriment des victimes et des offres indemnitaires qui pourraient leur être classiquement allouées :
- Des référentiels indicatifs déjà existants et utilisés par les Tribunaux : il existe déjà des barèmes indemnitaires indicatifsutilisés par les juridictions afin d’indemniser les victimes d’accidents corporels. Les juridictions civiles utilisent, entre autres, le référentiel indicatif d’indemnisation du préjudice corporel des Cours d’appel judiciaires qui vise, contrairement à « DataJust », à assurer la réparation intégraledu préjudice corporel des victimes in concreto, en fonction des spécificités de chacune d’elles, et NON à uniformiser les décisions de justice, in abstracto, comme l’induirait DataJust. Le référentiel des Cours d’appel est donc utilisé comme un simple outil, une méthode de calcul, ce qui ne serait pas permis par le référentiel issu de DataJust, qui va venir plafonner les indemnisations des victimes.
- De plus le décret relatif à la création de DataJust ne prévoit aucune actualisation de ce nouveau référentiel qui se base uniquement sur les décisions rendues entre 2017 et 2019. Or, il est fortement préjudiciable pour les victimes que ce référentiel ne prenne pas en compte l’évolution du coût de la vie, qui fera sans aucun doute, évoluer les indemnisations, notamment concernant la tierce personne.
Ainsi, si ce référentiel issu de DataJust devait être mis en vigueur, il sera indispensable qu’il fasse l’objet d’une actualisation régulière afin de préserver les droits des victimes.
- Une harmonisation des décisions au détriment des victimes : l’indemnisation des victimes de dommage corporel diffère selon que l’affaire est portée devant une juridiction administrative ou judiciaire. En effet, les tribunaux administratifs ont parfois tendance à appliquer un référentiel d’indemnisation inférieur à celui utilisé par les tribunaux judiciaires. Cela peut notamment s’expliquer par les types contentieux soumis au Tribunaux administratifs, comme par exemple, lorsque la solidarité nationale est mise en jeu en cas d’aléa thérapeutique ou d’infection nosocomiale, ou encore lorsque l’ONIAM est mis en cause.
L’algorithme DataJust vise à créer un nouveau référentiel unique en se fondant tant sur les indemnisations allouées par les tribunaux judiciaires que par les tribunaux administratifs.
Selon nous, le référentiel de l’ONIAM, qui est très inférieur au référentiel des Cours d’appel judiciaires, ne doit pas servir de base à la réflexion initiée par le Ministère de la justice dans le cadre de la mise en place de l’algorithme DataJust.
L’harmonisation des décisions de ces tribunaux par l’application de ce référentiel unique ne doit pas se faire au détriment des victimes, en réduisant les montants de leurs indemnisations,et dans le seul intérêt des payeurs (laboratoires pharmaceutiques, assureurs, etc).
De plus, cet algorithme DataJust prendra également en compte les montants accordés dans le cadre des procédures amiables, notamment les transactions effectuées avec les compagnies d’assurance. Or, les sommes allouées par les compagnies d’assurance sont souvent très à la baisse par rapport au préjudice subi par les victimes. Cela s’explique notamment par le fait que bon nombre de victimes sont non représentées par un avocat lors de ces procédures amiables et non assisté d’un médecin conseil habitué à faire de l’indemnisation du dommage corporel. En effet, la technicité des expertises tant sur le plan juridique que médical, requiert que la victime se fasse assistée afin de pouvoir prendre part aux discussions médico-légales la concernant et ainsi ne pas être lésée dans l’évaluation de ces préjudices par l’expert.
Il est donc important que les intérêts des victimes ne soient pas mis à mal par l’inclusion dans l’algorithme DataJust, des sommes payées par les compagnies d’assurance.
Il est notable que les montants indemnitaires des victimes de dommages corporels diffèrent considérablement selon que la victime est assistée ou non d’un professionnel du droit et d’un médecin conseil dans le cadre de ces procédures (amiables ou judiciaires). Ainsi, si certaines victimes ont été lésées dans leur indemnisation, cela risque de se répercuter sur l’ensemble des futures victimes, puisque l’algorithme DataJust va se fonder sur les décisions rendues entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019, et ce, peu importe que la victime ait été justement indemnisée ou non.
- La mise à mal du principe d’individualisation des préjudices par l’algorithme DataJust : cet algorithme aurait pu sans aucun doute s’appliquer dans d’autres domaines du droit afin par exemple d’estimer les chances de succès d’une affaire au regard de la jurisprudence antérieure portant sur des faits similaires.
Cependant, il apparait difficilement concevable que le nouveau référentiel créé par DataJust puisse s’appliquer en matière de dommage corporel. En effet, un certain nombre de composantes sont à prendre en compte dans l’indemnisation des préjudices d’une victime d’un accident corporel. L’indemnisation d’une victime repose sur l’appréciation et l’évaluation faite de ses atteintes et de ses préjudices par un médecin expert qui aura été désigné. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, une réunion d’expertise se tient systématiquement en matière de dommage corporel, afin de pouvoir examiner la victime, l’entendre, comprendre le contexte du dommage (dans un cadre médical ou non, faute ou non de l’auteur, faute intentionnelle ou non, aléa, etc) et discuter de ses préjudices tant physiques que psychologiques.
Or, cet algorithme sera dans l’incapacité de prendre en compte le composant humain de ce type de contentieux qui touchent directement à l’intégrité de la victime.
C’est la raison pour laquelle les juges ne doivent pas se cantonner à l’application de cet algorithme compte tenu de la particularité de chaque accident corporel et du principe d’individualisation des préjudices.
- DataJust : un simple outil ou une grille indemnitaire ?Le risque de la création d’un référentiel indicatif basé sur la jurisprudence est tout d’abord de venir limiter le pouvoir d’appréciation des magistrats. Les juges doivent pourtant demeurer libre de leur jurisprudence !
Commeindiqué précédemment, les décisions alimentant la base de données DataJust proviendront des juridictions administratives et judiciaires. Les juges de première instance pourraient donc avoir tendance à suivre ce référentiel par crainte que leur décision soit infirmée par la Cour d’appel ou que leur décision fasse systématiquement l’objet d’un appel par le défendeur, dès lors qu’ils alloueraient à la victime une somme supérieure à la somme prévue par le référentiel.
Ce référentiel issu de Datajust doit être uniquement « indicatif », c’est-à-dire que les juges puissent librement en sortir lorsque les circonstances particulières du dossier l’exigent. A titre d’exemple, l’impossibilité pour une femme de procréer à la suite d’un accident de la route n’a pas le même retentissement selon l’âge et la situation personnelle de la victime, Une femme âgée de 30 ans qui n’a pas d’enfant ne subit pas le même préjudice qu’une femme âgée de 30 ans qui a déjà 4 enfants, qui elle-même ne subira pas le même préjudice qu’une femme âgée de 45 ans.
Mais il existe un risque réel que ce référentiel soit considéré comme une grille indemnitaire qui s’imposerait aux juges et au-delà duquel ils ne pourraient pas aller.
Cela a d’ailleurs déjà été mis en place en droit social par la réforme du Code du travail de 2017, qui a instauré un barème obligatoire qui fixe des plafonds et des planchers dans la fixation des indemnités prud’homales allouées à un salarié. Le nombre d’années d’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise conditionnent le nombre de mois de salaire versé au salarié, sans pouvoir excéder 20 mois de salaire.
Il faudra donc s’assurer que le référentiel issu de DataJust ne devienne pas un barème d’indemnisation obligatoire puisque cela pourrait être fortement préjudiciable aux victimes :
- Les particularités de chaque dossier soulevées par les avocats, conformément au principe d’individualisation des préjudices, risquent de ne plus être prises en compte en cas d’application stricte de ce référentiel par les magistrats ;
- De même, les nouveaux postes des préjudices qui pourraient être retenus par les médecins experts lors des réunions d’expertise risquent de ne pas être reconnus et indemnisés par les magistrats puisque non prévus par ce référentiel et venant ainsi mettre fin à une évolution positive de la jurisprudence.
Il sera donc important d’anticiper l’application de ce barème au stade de l’indemnisation en s’assurant que les préjudices des victimes soient correctement évalués par les médecins expert lors des expertises.
En effet, la victime peut se retrouver doublement pénalisée si ses préjudices sont sous évalués au stade des expertises et que ce référentiel vient plafonner son indemnisation.
Le rôle de l’avocat notamment lors des réunions d’expertise sera donc d’autant plus essentiel pour protéger les droits des victimes et obtenir une juste évaluation de leurs préjudices.
Comme toute intelligence artificielle, l’algorithme issu de DataJust devra donc être utilisé comme un simple outil supplémentaire au service des victimes d’accident corporel et des professionnels du droit et non en substitution de ces derniers.
Nous allons mettre en place activement des activités de lobbying auprès du Ministère de la Justice afin que ce nouveau référentiel issu de l’algorithme DataJust ne soit pas contraire aux intérêts des victimes.
Si vous avez été victime d’un dommage corporel, je reste, avec toute mon équipe, à votre disposition pour toute information complémentaire :
- Par mail : contact@dante-avocats.fr
- Par téléphone au 01 43 22 44 53
N’hésitez pas à nous contacter afin que nous puissions répondre à vos interrogations et vous aider dans ces problématiques.
Charles JOSEPH-OUDIN
Avocat à la Cour