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Violences gynécologiques et obstétricales : la délicate immixtion du droit entre professionnels de santé et patientes
Depuis quelques années, des voix s’élèvent pour dénoncer certaines pratiques et propos qui semblaient hier consubstantiels aux aléas de la relation patient-médecin.
Il est parfois difficile de différencier ce qui relève du soin, du conseil et ce qui relève de la contrainte pure et simple pour le patient.
C’est cette zone grise qui tend aujourd’hui à être éclaircie à la lumière du droit et des obligations disciplinaires, des dispositions du code de la santé publique mais aussi des droits fondamentaux.
Il convient de définir le périmètre de ce qui est aujourd’hui qualifié de violences gynécologiques et obstétricales (I), puis d’examiner les procédures et textes applicables à la protection des patientes (II).
I – Définitions et périmètre des violences gynécologiques et obstétricales
La gynécologie est une spécialité médicale ayant pour objet le diagnostic et le soin des maladies de l’appareil génital féminin, ainsi que la prise en charge de la stérilité, de la contraception, des troubles du cycle menstruel ou encore de la ménopause.
L’obstétrique, quant à elle, désigne la surveillance du déroulement de la grossesse et de l’accouchement.
Les violences peuvent prendre des formes variées : il peut s’agir d’un acte positif du praticien, mais aussi d’une omission, comme de propos tenus en consultation.
Ainsi le terme de « Violences gynécologiques et obstétricales » est entré dans le vocable commun, mais est réfuté par le Collège national gynécologues et Obstétriciens français.
De nombreuses sources et rapports apportent une grande variété de témoignages quant aux formes que prennent ces violences.
Dans le sillage du mouvement « #PayeTonUtérus » sur twitter en 2014, et de la publication du livre noir de la gynécologie en 2017, des milliers de témoignages ont relayé des propos jugés offensants ou déplacés tenus par des professionnels, des pratiques d’examens sans consentement des patientes, une infantilisation des patientes, des épisiotomies sans consentement ou encore une minimisation systématique des douleurs ressenties.
Leur seul point commun est qu’elles sont commises dans le cadre d’une relation entre un professionnel de santé (gynécologue, obstétricien, sage-femme, corps infirmier, échographe…) et une patiente, et que selon le Haut conseil à l’égalité entre les Femmes et les Hommes, ces violences prennent place « dans le continuum des violences faites aux femmes, du fait de leur caractère commun, le sexisme ».
Loin d’être anecdotique, il s’agit d’un sujet d’envergure car on estime qu’une femme aura, en moyenne, recours à 50 consultations gynécologiques et obstétricales au cours de sa vie.
On relèvera également que cette prise de parole devient de plus en plus audible dans un contexte de judiciarisation des relations médicales et de luttes des femmes pour la maîtrise de leurs capacités reproductrices, mais aussi dans celui de la médicalisation croissante de l’accouchement au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle.
Inévitablement ces courant ne pouvaient que se confronter.
II – Procédures applicables
Il existe une juxtaposition de plusieurs procédures possibles, qui peuvent se cumuler, ouvertes aux patientes souhaitant obtenir la reconnaissance de ces violences, que ces dernières constituent des manquements déontologiques, des fautes pénales ou civiles.
A – L’intervention du Défenseur des droits
Le Défenseur des droits intervient dans quatre domaines, dont la défense des droits des usagers des services publics, ainsi que dans pour la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité.
Les violences gynécologiques et obstétricales étant par nature des actes sexistes et pouvant intervenir au sein d’un établissement public ou privé de santé, le Défenseur des droits peut être saisi et s’auto saisir, mais son action est limitée.
Il dispose de pouvoirs d’enquête, ainsi que d’un rôle de médiation dans la recherche d’un règlement amiable, y compris financier. Il peut également soutenir la victime dans la phase contentieuse, où il va intervenir en qualité d’expert et en présentant ses conclusions dans l’exercice de ses pouvoirs d’enquête. Il lui est également possible de saisir le Conseil de l’ordre des médecins pour demander une sanction.
En revanche la saisine du Défenseur des droits ne suspend ni n’interrompt les délais de prescription, et il ne peut infliger lui-même aucune sanction.
B – Conseil de l’ordre des médecins
Tout patient, ou ses ayants droit, mais également toute administration, organisme de service public ou association ayant intérêt peut saisir le Conseil de l’ordre, composé de médecins élus par leurs pairs pour un manquement aux principes de moralité, de probité de compétence et de dévouement, et plus généralement pour tout manquement aux règles figurant dans le Code de la déontologie, codifié à l’article L. 4121-2 du Code de la santé publique.
Après réception de la plainte, le Conseil départemental de l’Ordre des médecins organise obligatoirement une conciliation en présence du plaignant, du médecin mis en cause et de conseillers ordinaux. Le plus souvent, le différend parvient à être résolu.
Constituant un mode alternatif de résolution des conflits, la réunion de conciliation dans le cas de violences gynécologiques et obstétricales est pourtant incompatible avec les dispositions de la convention d’Istanbul ayant pour but de « protéger les femmes contre toutes les formes de violences et de prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l’égard des femmes (…) », ratifiée par la France en 2014.
Si la plainte est maintenue malgré la conciliation, le Conseil départemental de l’Ordre des médecins l’examine en réunion plénière, puis est dans l’obligation de la transmettre à la chambre disciplinaire de première instance, avec son avis motivé.
On apprend dans le Rapport sur les actes sexistes du Haut conseil à l’égalité Femmes Hommes, 3,4% des plaintes déposées auprès des instances disciplinaires de l’Ordres des médecins en 2016 concernaient des infractions sexuelles commis par des médecins.
Le rapport d’activité du CNOM de 2019, sur l’année 2018, indique que les formations collégiales de la Chambre disciplinaire de première instance ont rendu 1 027 décisions. 58 % des plaintes sont rejetées ou n’aboutissent à aucune sanction.
Les sanctions prononcées sont des blâmes et des avertissements dans 60% des cas, des interdictions d’exercices (totalement ou partiellement assorties du sursis) inférieures ou égales à 1 an représentent 14% des cas. Les radiations ne représentent que 2% des cas.
En recherchant les décisions, on note également que ces juridictions ordinales n’ont eu que peu d’occasions de se prononcer sur des actes non consentis par les patientes soignées en gynécologie ou en obstétriques. En effet la très grande majorité des décisions de la Chambre nationale disciplinaire concerne le caractère consciencieux des soins délivrés au cours de la grossesse et de l’accouchement, et leur conformité aux données acquises de la science.
Il est ainsi difficile de dégager une jurisprudence cohérente des juridictions ordinales concernant les violences gynécologiques et obstétricales. On retrouve néanmoins quelques décisions protectrices du consentement des patientes qui ne semblent concerner que les cas les plus graves.
La chambre disciplinaire a condamné à une interdiction temporaire d’exercice de 2 ans le médecin généraliste qui pratique sur sa patiente une méthode d’ostéopathie intra pelvienne, alors qu’elle se trouve dans un état de vulnérabilité psychologique, en s’appuyant sur la prohibition du charlatanisme (R. 4127-39 et R. 4127-32 du CSP).
On retrouve également des condamnations de médecins ayant procédé à des ligatures des trompes alors que la patiente n’était pas en mesure de la consentir de manière libre et éclairée.
En revanche est rejetée la requête de la patiente qui subit une palpation mammaire par son généraliste dans le cadre d’un renouvellement de prescription de contraception orale. Dans cette décision, la chambre disciplinaire considère que « s’il est exact que le consentement à cet acte de palpation n’a pas été précédé d’une interrogation expresse de cette patiente, il est clair que le consentement implicite à ce type d’acte découle de la demande même de consultation gynécologique […] ; que lorsque le Dr A a demandé à sa patiente de retirer son soutien-gorge et lui a indiqué qu’il allait procéder à une palpation mammaire, celle-ci n’a exprimé aucun refus ; que celle-ci n’a pas non plus protesté lorsqu’il a commencé cette palpation par le creux axillaire ; que le consentement ne fait donc pas défaut ».
Une autre décision rejette la requête de la patiente à qui l’on avait imposé une épisiotomie malgré ses protestations, au motif d’un besoin médical impérieux tenant à la santé et au bien-être de l’enfant à naître, et considère l’appel de la patiente « abusif » pour la condamner à 3 000 euros d’amende.
Les sanctions semblent corrélées au préjudice subi, et aux cas les plus graves (mutilation ou victime dans une situation de vulnérabilité). De même la notion de consentement n’apparaît pas centrale dans le raisonnement de la chambre disciplinaire, qui s’appuie davantage sur la justification et la conformité des soins aux données acquises de la science pour sanctionner les praticiens ou rejeter les plaintes.
De plus il existe une autre limite à la saisine du Conseil de l’ordre, puisqu’il ne peut être saisi par les particuliers pour les cas de médecins, dentistes et sage-femmes exerçant à l’Hôpital public.
C – Les juridictions civiles
De nombreuses bases textuelles viennent consacrer le principe de consentement aux soins. En effet, l’article L.1111-4 du Code de la santé publique dispose que « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
L’article 16-3 du code civil prévoit quant à lui qu’il « ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. », prohibant par là même tout examen non justifié médicalement ou non conforme aux données acquises de la science.
Toute violation de ces principes peut constituer une faute au sens civil, y compris ceux contenus dans le Code de déontologie et codifiés dans l’article R. 4127-1 et suivants du Code de la santé publique.
Néanmoins, afin que la responsabilité civile d’un médecin ou d’un établissement de santé soit recherchée, il est nécessaire de démontrer, outre l’existence d’une faute, celle d’un dommage réparable et d’un lien de causalité entre les deux.
Outre la preuve du geste, de l’omission et des propos en cause, il faut également que la victime rapporte la preuve de son propre préjudice.
Or, dans le cas d’examens tels que les touchers rectaux ou vaginaux sans consentement sous anesthésie générale , où dans l’hypothèse où des internes et des professionnels de santé assistent, sans recueillir l’accord de la parturiente, à un accouchement , le préjudice est évident mais difficile à faire rentrer dans un poste de préjudice en particulier.
Ainsi, en l’absence de séquelle psychologique ou physique, l’emprunt de la voie civile pour la réparation de violences gynécologiques et obstétriques est peu adapté.
D – La voie pénale
Il faut se rappeler que les professionnels disposent de prérogatives importantes à l’égard du patient : le droit pénal prévoit que le corps médical peut attenter à l’intégrité physique de son patient lorsque l’urgence le commande ou lorsque le patient l’y autorise, sans risquer d’être poursuivi pour violences volontaires.
La boussole du juge pénal sera, à l’instar de la juridiction disciplinaire, la nécessité, l’urgence du soin et l’accord du patient.
On peut ainsi souligner que plusieurs gestes rentrant dans la définition de violences gynécologiques et obstétricales tombent sous le coup de la loi pénale lorsqu’une ou plusieurs de ces conditions manquent.
Ainsi, une palpation mammaire réalisée sans le consentement préalable de la patiente et/ou sans nécessité médicale peut être interprété par le juge comme une agression sexuelle (article 222-22 du Code pénal). De même qu’un examen gynécologique pratiqué sans le consentement de la patiente peut constituer un acte de pénétration non consenti et par conséquent un viol défini par l’article 223-23 du Code pénal.
Il faut encore noter qu’il est possible de retenir des circonstances aggravantes à ces infractions, tenant notamment à l’état de vulnérabilité de la victime lorsqu’elle est connue de son auteur (qu’elle soit psychologique ou physique, comme un état de grossesse), ou lorsque la pénétration est commise par une personne ayant autorité, ou une personne qui abuse de l’autorité que lui confère sa fonction.
Récemment, un gynécologue parisien est mis en cause pour viol sur mineur de plus de 15 ans et par une personne ayant autorité, pour des examens vaginaux et rectaux brutaux et sans s’assurer du consentement de ses patientes. Un gynécologue du Val d’Oise, a quant à lui été mis en examen pour 75 viols et 14 agressions sexuelles, après 3 plaintes classées sans suite par le parquet depuis 2005, 2008 et 2011, et deux plaintes rejetées par les juridictions disciplinaires.
La qualification pénale de ces actes implique également la démonstration, outre celle du caractère sexuel de la pénétration, d’un dol spécial, qui est la conscience d’imposer un acte de pénétration auquel la victime n’a pas consenti.
En cas de condamnation, des peines complémentaires peuvent être prononcées comme l’interdiction d’exercice ou encore la radiation.
Notons également la nouvelle infraction d’outrage sexiste, prévue à l’article 621-1 du Code pénal et caractérisée par « le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13,222-32,222-33 et 222-33-2-2, d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».
Dans le cas des violences gynécologiques et obstétricales, on peut considérer que des remarques désobligeantes à caractère sexiste, sur l’apparence physique ou sur la vie sexuelle des patientes, peuvent recevoir la qualification d’outrage sexiste.
Toutefois, la preuve de tels propos, tenus dans l’intimité d’une salle de consultation, semble difficile à rapporter. Tant cet obstacle probatoire que le caractère contraventionnel de cette infraction, font de l’outrage sexiste un outil inefficace et inadapté.
Quelle que soit la procédure choisie, on retrouve très peu de réponses juridiques et judiciaires aux violences gynécologiques et obstétricales.
Il faut espérer que les prochaines affaires permettront de préciser les conditions de mise en jeu de la responsabilité des professionnels de santé sur le plan civil, disciplinaire et pénal, afin que ces pratiques puissent être éradiquées des salles d’accouchement, des tables d’examens et surtout que les futurs praticiens soient sensibilisés à ces questions.
Par Morgan Privel et Charles Joseph-Oudin, avocats
https://www.village-justice.com/articles/violences-gynecologiques-obstetricales-delicate-immixtion-droit-dans-les,40744.html