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Le statut de l’enfant né sans vie aujourd’hui en France
La triste affaire médiatique de Pierre Palmade, dans laquelle plusieurs personnes ont été gravement blessées lors d’un accident de la route, dont une femme enceinte de 6 mois qui a tragiquement perdu son enfant, donne lieu à s’interroger sur le statut de l’enfant né sans vie aujourd’hui en France.
Cette question est très importante pour les familles touchées par le décès de leur enfant à naître, que ce soit à la suite d’un accident, comme c’est le cas dans cette affaire, ou bien même à la suite d’une exposition in utero à un médicament tératogène pendant la grossesse, nécessitant la réalisation d’une interruption thérapeutique ou médicale de grossesse (ITG ou IMG) au regard des graves pathologies présentées par le fœtus, comme c’est le cas dans l’affaire de la Dépakine.
Plus généralement, quelque ce soit la cause du décès, qu’elle soit accidentelle ou non, il est très important pour les parents confrontés à un tel deuil de l’enfant qu’ils attendaient depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, soit reconnu.
L’évolution du droit sur le statut de l’enfant né sans vie : distinction entre enfant né vivant et viable / enfant mort-né
Si cela peut être très difficile à entendre pour des parents confrontés à un tel drame, un enfant est considéré comme une personne, au sens juridique du terme, que lorsque sa naissance a été déclarée à l’état civil.
Pour qu’un acte de naissance soit dressé par un officier d’état civil, il est nécessaire que l’enfant soit né vivant et viable.
La circulaire n°50 du 22 juillet 1993 relative à la déclaration des nouveau-nés décédés à l’état civil précisait la notion de viabilité. Les enfants pesants au moins 500 grammes ou nés après 22 semaines d’aménorrhée étaient présumés viables.
Il existait alors trois situations distinctes :
– Pour l’enfant né vivant et viable : un certificat médical établissant que l’enfant était né vivant et viable était dressé, ainsi qu’un acte de naissance et un acte de décès. L’enfant recevait un prénom et un nom de famille et était inscrit dans le livret de famille.
En effet, l’article 79-1 alinéa 1er du code civil prévoit que :
Lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
L’alinéa 1er de cet article est resté inchangé.
Le statut de l’enfant né vivant et viable est donc resté le même aujourd’hui.
– Pour l’enfant non né vivant et viable mais pesant plus de 500 grammes ou né après 22 semaines d’aménorrhées : Aucun certificat médical d’enfant né vivant et viable n’était dressé. De même, dès lors qu’aucun acte de naissance ne pouvait être dressé, aucun acte de décès ne pouvait également être rédigé. L’enfant n’avait pas de personnalité juridique et ne pouvait pas avoir de nom de famille. En revanche, il pouvait avoir un prénom et être inscrit sur le livret de famille si les parents le souhaitaient.
– Pour l’enfant non né vivant et viable, pesant moins de 500 grammes ou né avant 22 semaines d’aménorrhées : l’enfant avait le statut de « pièce anatomique » et faisait l’objet d’une simple déclaration administrative. Aucun acte d’état civil n’était dressé. En revanche, l’établissement hospitalier pouvait fournir un certificat d’accouchement d’un enfant né mort et non viable.
Ces différences de statut de l’enfant décédé apparaissaient incompréhensibles pour des parents en deuil, d’autant plus lorsque leur enfant se rapprochait du critère retenu sans pour autant le remplir.
Fort heureusement, par trois arrêts en date du 6 février 2008 (Cass. 1re civ., 6 févr. 2008, no 06-16.498, Bull. civ. I, no 41, Cass. 1re civ., 6 févr. 2008, no 06-16.499, Bull. civ. I, no 42 et Cass. 1re civ., 6 févr. 2008, no 06-16.500, Bull. civ. I, no 43), la Cour de cassation a fait évoluer la situation des enfants morts nés en supprimant les seuils qui étaient fixés auparavant, à savoir plus de 500 grammes ou né après 22 semaines d’aménorrhées, et uniformisait ainsi leur statut.
Cependant, la Cour de cassation rappelait que l’enfant né sans vie ne disposait pas de personnalité juridique. Ainsi elle rappelait qu’aucun lien de filiation ne pouvait être établi et que l’enfant ne pouvait pas avoir de nom de famille.
L’article 79-1 alinéa 2 du code civil (dans sa version du 9 janvier 1993 au 8 décembre 2021) relatif aux enfants mort-nés prévoit que :
A défaut du certificat médical prévu à l’alinéa précédent, l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. L’acte dressé ne préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir le tribunal judiciaire à l’effet de statuer sur la question.
Depuis ce revirement de jurisprudence de 2008, cet article s’applique à tous les enfants nés sans vie, sans distinction de poids du fœtus ou de durée de la grossesse.
Afin d’accorder une meilleure reconnaissance aux enfants morts nés, l’article 79-1 alinéa 2 du code civil a été complété par la loi du 6 décembre 2021.
La transmission du nom de famille pour les enfants nés sans vie depuis la loi du 6 décembre 2021
Alors que la transmission du nom de famille était auparavant liée à l’attribution de la personnalité juridique, la loi n°2021-1576 du 6 décembre 2021 a autorisé l’attribution d’un nom de famille à l’enfant né sans vie.
En effet, l’alinéa 2 de l’article 79-1 du code civil indique désormais que :
Peuvent également y figurer, à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux.
Cette loi permet ainsi de compléter l’inscription mémorielle de l’enfant né sans vie à l’état civil en donnant la possibilité aux parents de lui transmettre un nom.
Cette loi est rétroactive, ce qui signifie que les parents des enfants mort-nés, avant l’entrée en vigueur de cette loi, peuvent solliciter l’inscription de l’identité complète de leur enfant, à savoir de son prénom et de son nom, sur le livret de famille.
Madame Anne-Catherine LOISIER, qui avait déposé la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie, avait précisé que ce texte « vise à donner un nom de famille aux enfants sans vie pour accompagner le deuil des parents, sans pour autant accorder de droits supplémentaires ».
En effet, cette pleine individualisation de l’enfant né sans vie est avant tout une reconnaissance symbolique et sociale de l’existence de cet enfant mais ne lui confère pas pour autant de personnalité juridique.
L’article 79-1 alinéa 2 du code civil précise d’ailleurs que :
Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique.
Si cette loi a permis de lier symboliquement l’enfant né sans vie à ses parents, il n’existe toujours pas de lien de filiation.
Les conséquences juridiques du statut de l’enfant à naître décédé
Dans l’affaire « Pierre Palmade », se pose la question de savoir si la qualification d’homicide involontaire peut-être retenue pour le décès d’un fœtus de 6 mois.
En effet, dans le cadre d’une grossesse interrompue en raison d’un accident, si l’enfant est né vivant et viable, la qualification d’homicide involontaire sera retenue.
En revanche, si l’enfant est né sans vie, la simple qualification de blessures involontaires sera retenue.
Cette distinction s’explique pour les raisons exposées précédemment :
– Un enfant né vivant et viable dispose d’une personnalité juridique et est ainsi considéré comme une personne au sens juridique du terme. Si l’accouchement a été provoqué par l’accident et que l’enfant est décédé après être né vivant et viable, le responsable de cet accident sera poursuivi pour homicide involontaire.
– Un enfant né sans vie n’est pas considéré comme une personne au sens juridique du terme. Si l’accouchement a été provoqué par l’accident et que l’enfant est mort-né, le responsable de cet accident sera seulement poursuivi pour blessures involontaires.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une expertise a été sollicitée afin de déterminer si avant son décès, l’enfant de cette jeune femme était né vivant et viable.
La jurisprudence est très claire sur ce point. Dans un arrêt d’assemblée plénière du 29 juin 2001, n°99-85.973, la Cour de cassation retient que :
Le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du Code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître, dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus.
Cette question du statut de l’enfant à naître décédé est d’autant plus importante que les peines encourues par le responsable divergent selon la qualification pénale de l’infraction retenue :
– Pour un homicide involontaire, l’article 221-6 du code pénal prévoit que la peine encourue est de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Cette peine peut être portée à 5 ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende « en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité » ;
– Pour des blessures involontaires ayant entrainé une incapacité totale de travail de plus de trois mois, l’article 222-19 du code pénal prévoit que la peine encourue est de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Cette peine peut être portée à 3 ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende « en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité » ;
Ainsi, si le statut de l’enfant mort-né a favorablement évolué depuis toutes ces années avec la volonté de reconnaitre la douleur des parents, il reste encore du chemin pour que le décès provoqué accidentellement d’un enfant né sans vie soit considéré comme un homicide involontaire.
La même question se pose pour le décès provoqué volontairement d’un enfant né sans vie qui pourrait être qualifié d’homicide volontaire.
Néanmoins, la reconnaissance juridique de l’enfant mort-né peut certainement poser des difficultés au regard du droit à l’avortement qui pourrait prochainement être inscrit dans la Constitution. Il ne faudrait pas que ce droit reconnu aux femmes soit entaché d’un risque de poursuite pénale.