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Procès du Mediator : « Le non-retrait du médicament est incompréhensible » par Corinne Audouin

5 octobre 2019

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Le procès du Mediator, qui a débuté le 23 septembre, est entré dans le vif du sujet avec le témoignage des trois auteurs du rapport de l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales. Un rapport accablant, commandé en décembre 2010 par le ministère de la Santé, après l’éclatement du scandale. Récit d’audience. 

Dominique Martin (actuel directeur de l'ANSM) Jean-Philippe Seta (ex-numéro 2 des laboratoires Servier) et Emmanuel Canet  (représentant des laboratoires Servier), prévenus, lors de l'ouverture du procès du Médiator le 23 septembre.
Dominique Martin (actuel directeur de l’ANSM) Jean-Philippe Seta (ex-numéro 2 des laboratoires Servier) et Emmanuel Canet (représentant des laboratoires Servier), prévenus, lors de l’ouverture du procès du Médiator le 23 septembre. © AFP / Benoit PEYRUCQ 

Ils s’avancent tous les trois à la barre, après avoir traversé la salle d’audience d’un pas décidé. Les trois auteurs du rapport accablant de l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, commandé par le ministère de la Santé en décembre 2010, après l’éclatement du scandale. Tour à tour, ils passent l’ensemble de l’affaire au crible. 

L’origine du Mediator, une molécule dérivée des amphétamines, découverte en 1969; les premiers doutes sur sa toxicité, dans une étude menée par Servier en 1971. « Au bout de 35 jours, les rats étaient tellement faibles, quasi mourants, qu’ils ont arrêté le traitement », dit Aquilino Morelle, le coordinateur de cette mission de l’IGAS menée à l’époque en 6 semaines, et qui allait entraîner l’ouverture d’une information judiciaire.

L’enquêtrice Anne-Carole Bensadon, spécialiste en pharmacovigilance, rappelle les alertes qui ont ponctué l’histoire du Mediator. Des cas d’hypertension artérielle pulmonaire dans les années 90, un premier cas de valvulopathie signalé à Marseille : cela « aurait dû entraîner son retrait dès 1999« . Il ne le sera que dix ans plus tard, grâce à l’obstination de personnes extérieures au système de santé : la pneumologue Irène Frachon, le député Gérard Bapt, la chercheuse Catherine Hill.

Un médicament « à l’intérêt thérapeutique limité »

L’enquêtrice martèle : « Ce non retrait est in-com-pré-hensible. On est dans un système où le doute profite au médicament. La vie du médicament est prioritaire sur la vie du malade. Et ça, on a trouvé que c’était inadmissible. » Aquilino Morelle enfonce le clou : « si au moins c’était un médicament qui sauvait des vies… Mais tout ça pour un médicament à l’intérêt thérapeutique limité !  » Etienne Marie, le doyen du trio, rappelle que le Mediator a été examiné neuf fois. « Neuf fois, les experts ont dit que son intérêt thérapeutique était très faible », rappelle-t-il.

Alors pourquoi ? C’est la question la plus difficile. Aquilino Morelle pointe des comportements humains habituels : « négligence, paresse, désinvolture, conformisme… Mais il vous appartient de juger », lance-t-il au tribunal. La ligne de conduite relève de l’équilibrisme, tant le rapport de l’IGAS se révèle accablant, à la fois pour Servier, et pour l’Agence du médicament (nommée Afssaps à l’époque). La défense des laboratoires dénonce d’ailleurs une enquête menée au pas de charge, et dans laquelle Servier n’a pas été entendu.

« Ils n’ont pas demandé à l’être, et la loi ne nous permettait pas de les convoquer« , répond Aquilino Morelle. Me François De Castro relève pourtant que c’est arrivé, dans d’autres affaires, comme Sanofi pour la Dépakine. « Convoquez les enquêteurs de la Dépakine » balance, cinglant, l’ancienne plume de Lionel Jospin,  ex conseiller de François Hollande à l’Elysée, qui a réintégré l’IGAS.

Premiers mots des prévenus

Avant le témoignage de ce trio, le tribunal a, pour la première fois, entendus les prévenus. On retient les mots prononcés par Jean-Philippe Seta, ex-numéro 2 des laboratoires Servier, renvoyé pour tromperie, escroquerie, mais aussi « homicides et blessures involontaires par violation délibérée » d’une obligation de sécurité. C’est un homme aux cheveux entièrement blancs, âgé de 66 ans. « Je suis totalement conscient de la gravité et de la sévérité de cette affaire » souffle-t-il. 

« Nous ne sommes pas les seuls, mais nous avons commis des erreurs, et nous devons en rendre compte » explique-t-il. Ce qu’il ne supporte pas ? Le qualificatif de violation « délibérée« . « C’est un fils et petit-fils de médecin qui vous le dit… » Très ému, Jean-Philippe Seta s’interrompt, avant de continuer, des larmes dans la voix. « J’ai décidé de consacrer ma vie à soigner. Qu’on puisse penser que j’ai intentionnellement fait du mal à mes patients, c’est insupportable !« 

« Participer à la manifestation de la vérité »

L’émotion de l’homme est palpable. Mais au-delà de la compassion envers les parties civiles et leurs familles, l’ex-bras droit de Jacques Servier ne reconnaît aucune faute intentionnelle. Les laboratoires sont sur la même ligne : prêt à répondre à toutes les questions du tribunal, leur représentant légal, Emmanuel Canet, estime « inimaginable que Servier ait laissé sciemment ce médicament sur le marché en connaissant ses effets secondaires graves ».

La petite musique n’est pas tout à fait la même du côté de l’Agence du médicament, également renvoyée pour blessures et homicides involontaires par négligence. « L’ANSM que je représente ne sollicite pas la relaxe » déclare d’emblée son actuel directeur, Dominique Martin. « Je considère en effet que la décision de retrait du Mediator a été trop tardive. Je veux participer à la manifestation de la vérité, notamment pour les citoyens, qui doivent avoir confiance en leurs autorités sanitaires.« 

Ce sera l’un des intérêts de ce procès-fleuve : sa vertu didactique. Le Mediator, estime Aquilino Morelle, est un « dossier révélateur : il nous a appris des choses sur le fonctionnement de la chaîne du médicament ».Thèmes associés.