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Médiator – Responsabilité de Servier confirmée par la cour d’appel

7 juillet 2016

LA RESPONSABILITE DE SERVIER CONFIRMÉÉ PAR LA COUR D’APPEL

La Cour d’appel de Versailles confirme dans un arrêt du 7 juillet 2016 la responsabilité de SERVIER dans le dossier Mediator.

Cette décision importante conforte les victimes qui ont initié des procédures judiciaires.

Les principaux attendus de l’arrêt sur les suivants :

Le principe actif du Médiator est le Benfluorex, lequel a pour métabolite la Norfenfluramine, laquelle stimule certains récepteurs de sérotonine, ce qui induit une prolifération de fibroblastes et de collagène, et provoque ainsi des remaniements valvulaires dominés par des aspects de fibrose, avec épaississement et rigidité valvulaire, responsables de régurgitations de type restrictif. Cette donnée scientifique n’est pas remise en cause par les Laboratoires Servier, non plus que le fait que la norfenfluramine crée un risque de valvulopathie. Plusieurs études récentes (Tribouilloy notamment) ont confirmé le rôle du benfluorex dans la survenance de valvulopathies inexpliquées.

Il est constant que ce risque n’a jamais été mentionné dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) publié par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, ex-AFSSAPS), et reproduit au dictionnaire Vidal jusqu’au retrait de l’AMM. 

Le législateur a créé un mécanisme d’indemnisation amiable des personnes traitées par Benfluorex, et les Laboratoires Servier, dans des déclarations publiques, se sont engagés, par la voix d’un de leurs avocats, à indemniser toutes les victimes.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu que le Médiator est un produit défectueux, comme n’offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, en ce que, d’une part les risques afférents à son utilisation dépassent son intérêt thérapeutique, et, d’autre part, ces mêmes risques n’ont été portés à la connaissance ni des médecins ni des patients.

L’article 1386-11 du code civil dispose que le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation n’a pas permis de déceler ce défaut. 

La connaissance personnelle qu’ont pu avoir, ou non, les Laboratoires Servier du défaut lors de la mise en circulation du médicament administré à Michel Due est donc indifférente. Il doit seulement être recherché si les données scientifiques disponibles entre 2004 et 2009, période d’exposition du patient, permettaient aux Laboratoires de déceler le défaut.

Les Laboratoires Servier font valoir à cet égard que ce n’est que l’addition de tous les éléments recueillis entre 1995 et 2009, qui a permis d’identifier le risque, qui demeurait encore sujet à controverse après 2009.

Il doit cependant être relevé que les laboratoires Servier savaient, au moins depuis 1993, année de la publication de l’étude Gordon, que le benfluorex se métabolise en norfenfluramine. L’usage du benfluorex dans les préparations magistrales a été interdit en France dès 1995, en tant qu’anorexigène. Deux autres médicaments également produits par les Laboratoires Servier, et contenant ce même métabolite, l’Isoméride et le Pondéral, médicaments anorexigènes, ont été retirés du marché français en 1997 à la suite de la démonstration, en 1995, lors de la publication du rapport de l’IGAS, d’une augmentation du risque d’HTAP. Aux Etats-Unis cependant, ce retrait a fait suite à la démonstration plus tardive d’une augmentation du risque de valvulopathie, non rapporté auparavant.

La présence du métabolite commun avec le benfluorex (la norfenfluramine) ne permettait ainsi pas d’exclure, même à l’époque, que cette molécule, malgré les différences de classe thérapeutique et de mécanisme d’action principal, pût être à l’origine de risques de lésions cardio-vasculaires analogues à celles détectées pour les anorexigènes en 1997, et ce même si les mécanismes pharmacologiques susceptibles d’induire de tels effets indésirables n’ont été élucidés que dans le courant des années 2000. (synthèse établie par le docteur Brion, produite par le laboratoire Servier lui-même).

En 1998, le retrait du médicament commercialisé en Suisse sous le nom de Mediaxal, décidé à l’initiative des Laboratoires Servier, est intervenu peu après que l’autorité de contrôle du médicament dans ce pays a mis l’accent sur le fait que le principe actif de cette molécule était incriminé dans les hypertensions artérielles et le développement des valvulopathies induites par les anorexigènes.

Dès 2000, une étude dite Rothman a mis en évidence le rôle de récepteurs de sérotonine activés par la norfenfluramine dans la constitution de lésions conduisant à une valvulopathie.

Cette suspicion a conduit à la mise sous surveillance du Médiator dans d’autres pays européens et, à la suite d’alertes en Espagne et en Italie en 2003 pour sa possible implication dans le développement de valvulopathies cardiaques, les Laboratoires Servier ont retiré du marché dans ces pays le benfluorex, commercialisé en Espagne sous le nom de Modulator.

Le fait, mis en avant par les Laboratoires Servier, que le benfluorex ait des propriétés pharmacologiques différentes de celles de l’ Isoméride et du Pondéral et soit dépourvu d’effet anorexigène significatif n’est donc pas pertinent, puisque, selon plusieurs études et notamment une étude italienne réalisée dès octobre 1999 à la demande de l’Agence européenne du médicament, trois comprimés de Médiator conduisent à produire autant de norfenfluramine que deux comprimés d’Isoméride (posologies quotidiennes pour ces deux médicaments). Cette étude souligne la similitude entre l’Isoméride et le benfluorex et formule l’hypothèse que les patients traités au benfluorex sont exposés à un niveau potentiellement toxique de norfenfluramine.

De fait, un usage inadéquat du Médiator, consistant à exploiter ses propriétés anorexigènes, a été signalé à la commission de pharmacovigilance à plusieurs reprises à partir de 1998, ce qui confirme encore, s’il en était besoin, l’extrême similitude des propriétés du Médiator avec d’autres médicaments jugés dangereux dès 1997.

Il est donc établi qu’au plus tard en 1997 existaient des données scientifiques concordantes sur les effets nocifs du Médiator qui auraient dû conduire les Laboratoires Servier à des investigations sur la réalité du risque signalé, et, à tout le moins, à en informer les médecins et les patients, ce qui n’a pas été le cas en France, alors que les Laboratoires Servier ont préféré retirer le benfluorex dans des pays où les mêmes suspicions ont été exprimées. 

Il est vrai, ainsi que le rappellent justement les Laboratoires Servier, que les comptes-rendus de réunions de la commission nationale de pharmacovigilance dépendant de l’AFSSAPS montrent que, bien qu’alertée depuis 1999 par des experts italiens et plusieurs cas d’HTAP, puis un de valvulopathie, cette autorité s’est bornée à demander des investigations, à partir desquelles elle a, d’une part, décidé de ne pas modifier le RCP du Médiator et s’est, d’autre part, abstenue de toute mesure plus énergique.

Les Laboratoires Servier ne peuvent cependant s’exonérer de leur responsabilité pour ce motif. 

La cour administrative d’appel de Paris a, par plusieurs arrêts rendus le 31 juillet 2015, retenu de ce chef la responsabilité de l’Etat, aux motifs notamment qu’à la fin de l’année 1998, et en tout cas en juillet 1999, les autorités sanitaires disposaient de nouveaux éléments d’information dont il y avait lieu de tenir compte, qui sont, pour l’essentiel, ceux qui viennent d’être cités, et qui auraient dû déterminer une intervention de l’AFSSAPS, puisqu’à cette date, en effet, le déséquilibre entre les risques, majeurs, tenant à l’utilisation du Médiator et l’intérêt que celle-ci pouvait présenter pour la santé publique était suffisamment manifeste pour que l’abstention de prendre les mesures adaptées, qui ne pouvaient être que la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché du médiator, auxquels il n’a été finalement procédé respectivement qu’en 2009 et 2010, doive être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.  

Néanmoins, la faute ainsi reconnue d’une autorité publique dans l’exercice d’une mission de santé publique ne saurait avoir pour effet d’exclure ou de diminuer la responsabilité première des Laboratoires Servier soumis à ce contrôle en leur qualité de producteur de médicaments, et leur obligation de réparer les préjudices ainsi causés. Il doit par ailleurs être observé, ainsi que le retient la cour administrative d’appel de Paris, que l’indemnisation des victimes par l’Etat dans le cadre de la mise en oeuvre de sa responsabilité aurait pour effet de le subroger dans leurs droits à l’égard des Laboratoires Servier, qui n’en seraient dés lors pas moins tenus de réparer intégralement les conséquences des défauts de leur produit.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce que l’exonération au titre du risque de développement n’a pas été retenue au profit des Laboratoires Servier.


 

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